Extraits de « Les autres »
P 41
Un petit capricieux qui se prend pour un homme…ça n’est pas rare. Quand ils ne sont pas adultes au moment où ils sont tenus pour tels, les hommes redeviennent des enfants : tout se passe comme si leur pouvoir patriarcal ressuscitait l’omnipotence de l’enfance. Ils prétendent à tout, entendent faire ce qu’ils veulent, quand ils veulent, comme ils veulent. Et nous les femmes, sommes nous censées être à leur service comme à celui de leur progéniture ? Je suis douce et rebelle, et avide de créer et de connaître, pour lutter sans violence contre ces tropismes. Je vais exister et ce sera évident. Je serai présente et pleine. Et pas pour leurs beaux yeux.
P 56
Sait-on à quel point il y a en chacun de nous un juge et une balance ? Qui a déjà imaginé les opinions sévères que portent sur lui-même les compagnons qu’il se croyait acquis ? Lequel se sait susceptible au regard des autres ? Et vulnérable ? ……Ignorons-nous réellement que l’amitié paisible se tisse dans les silences ?
P 74
N’est-ce pas pour les autres que l’on se transforme soi-même ? Claude me trouve maniaque dans mon appartement. Je peux l’entendre mais ne supporte pas qu’il me prenne sur le fait et me le fasse remarquer. Car alors le trait s’impose indéniablement et nous n’avons rien à débattre. Pourtant il m’arrive d’affirmer que je suis maniaque à la maison et que j’en suis fière…Allez comprendre pourquoi ce que vous dit un autre diffère de ce que l’on peut dire soi-même, et quand bien même l’idée est semblable. Croyons-nous les autres incapables de cette bienveillance que nous avons pour nous-mêmes ?
P 78
Pour le moment, leur jeunesse frémit sous l’amour comme une eau sous le vent. Elle est élan et gaieté, mais aussi en revers doute et inquiétude, pressentiment fatal de ce que pourrait devenir ce poudroiement d’espérance ou de potentialité qui les enveloppe aujourd’hui, halo d’optimisme dans lequel ils nagent. Ils ignorent tout à fait comment l’existence se fige dans une forme durcie, presque définitive, l’impossible et l’irréversible apparaissent. Puis la fulgurance d’une souffrance désunit la belle confiance, on se relève, titubant, et ce qu’i faut de force en soi pour redresser ce sujet abattu, je le sais, c’est énorme, et pourtant c’est en nous. Je le dis souvent à ma petite Moussia, il ne faut pas en douter : sous la peau douce des femmes et des hommes, il y a le roc d’un cœur qui veut battre envers et contre toutes les apocalypses.
P 81
C'est la vie réelle, telle que l'éprouvons dans sa longue glissade sur nous, qui rend plus vive notre vie imaginaire et empathique.
P 109
Où est la main d'Estelle? Je ne serais plus bon à rien désormais sans cette main. et je la tiens longuement, elle se donne à moi, je peux la sentir palpiter dans ma paume, sa douceur, sa chaleur qui devient moiteur en se conjuguant à la mienne. Estelle me sourit quand elle se dégage et la reprend. Elle sait alors qu'elle me vole quelque chose. Je possède à jamais une bouée, un soleil, une échappée! Partout où j'irai, je partagerai cette chance de vivre en deux.
P 113
Sommes-nous seulement ce que les autres font de nous en étant avec nous ce qu'ils sont que nous faisons d'eux?
P 114
Les souffrances que nous voulons tenir secrètes nous éloignent des autres.
P 122
Suis-je seule avec mon enfant ? Suis-je seule malgré mon enfant ? Mais oui, bien sûr. Ceux que nous choyons, protégeons et éduquons, nous laissent isolés au dessus d’eux, dans ce territoire de contrôle et de la maîtrise où ils nous croient. Et jamais nous ne les détrompons, jamais nous n’avouons que nous ne savons pas, que nous avons peur, que nous sommes parfois dans l’indigence et la stupeur, et que nous leur tenons la main non seulement pour eux mais aussi pour nous.
P 134
Nul homme n’est pour lui-même celui qu’il est pour les autres et pas davantage celui qu’il se figure être à leurs yeux. Si clairvoyants soient-ils, les regards rencontrent tant d’obstacles : ils ne se voient pas eux-mêmes, ils ne traversent pas la chair. Dans les limites de la parole et de la sincérité, s’inscrit la possibilité de découvrir celui que les autres connaissent. L’identité est changeante, soumise aux situations et aux protagonistes. Chaque caractère est enfoui dans une individualité qui se pare d’un ou plusieurs personnages. L’accès de chaque homme à l’individualité de l’autre est restreinte.
P 137
Un amour perdu vous vole le goût de vous-mêmes avant celui de la vie.
P 137
J’ai su ce jour-là que la grossesse est le plus immense secret des femmes : aucun homme n’aura jamais idée de ce qu’elle est, un préjudice et une béatitude, une capitulation et un épanouissement.
P 258
C’est un problème d’agresser quand on souffre, ça n’excite pas la compassion.
P 303
- Pardon. Je ne dirai plus rien, dit Niels.
- Mais ce qui a été dit ne peut pas ne pas l’avoir été…dit Fleur.
P 376
- Je crois que les femmes n’ont pas changé, mais le monde dans lequel elles vivent s’est transformé. Il ne suscite pas de leur part les mêmes réponses, dit Estelle.
- Vous avez raison Estelle. L’être humain ne change pas, il change le monde, dit Moussia.
P450
Les blessures intérieures se cachent fort bien derrière la santé. Ainsi la force dont nous faisons preuve nous prive des consolations extérieures.